La forêt et ses nombreux trésors

 

Lieu de vies diverses et de mystères, la forêt est un milieu qui nous a toujours fascinés. Couvrant aujourd’hui près d’un tiers du territoire français, elle est souvent qualifiée de « poumon de la Terre » en raison de l’une de ses principales fonctions écologiques : par le processus de photosynthèse, les nombreuses plantes qui la composent capturent le CO₂ pour produire leur énergie, puis rejettent de l’O₂ en guise de déchet. À l’échelle de la planète, ces étendues arborées nous permettent donc de respirer.

 

 

Mais cet équilibrage mondial n’est qu’un aspect de leurs bienfaits. En effet, à une échelle plus locale, les milieux forestiers sont de véritables nids à biodiversité. Chacun d’eux forme un écosystème unique, c’est-à-dire un ensemble d’interrelations entre une communauté d’êtres vivants qui cohabitent dans un même environnement. Schématiquement, on le représente comme l’interaction entre le biotope – les caractéristiques chimiques et physiques du milieu – et la biocénose – les formes de vie qui s’y développent, comprenant la faune, la flore et les micro-organismes.

 

De par sa richesse biologique, la forêt est donc un environnement naturel particulièrement dynamique. Beaucoup de recherches tendent aujourd’hui à mieux comprendre les mécanismes qui s’y jouent, car de nombreux mystères perdurent encore. Par exemple, il paraîtrait qu’elle ait des bienfaits directs sur notre santé. Cette observation nous vient d’une tradition asiatique appelée le Shinrin-Yoku signifiant en japonais, bain de forêt. Passer quelques instants dans les bois, le temps d’une balade, aurait ainsi des effets thérapeutiques et relaxants. Pourtant, les scientifiques peinent encore à expliquer ce phénomène.

 

En tout état de cause, nous avons beaucoup de choses à gagner à favoriser ce type d’écosystèmes. Il n’est pas un hasard si, dans la quête de revégétalisation des villes, le modèle de la micro-forêt prend de l’ampleur. Il consiste en la reproduction d’ensembles botaniques très denses sur des petites parcelles, de manière à en stimuler l’activité et la croissance. Disséminés sur un territoire donné, ces espaces permettent à la fois d’enrichir la biodiversité, de rafraîchir l’air et d’absorber une partie de la pollution urbaine.

 

Une structure luxuriante et résiliente

 

Plus que la somme de ses arbres, la forêt constitue un écosystème complet et complexe : végétaux, champignons, mammifères, oiseaux, microbes et insectes qui y abondent la composent ensemble. D’un point de vue strictement botanique, sa structure dégage une certaine rigueur qui garantit la maintenance des grands équilibres naturels.

 

Chaque environnement est unique, mais une certaine architecture se retrouve dans tous les milieux forestiers sauvages. Selon un axe vertical, on y observe grossièrement quatre grands types d’étages distincts : la strate muscinale, comprenant les champignons et les mousses ; la strate herbacée, faite de fleurs, de hautes herbes et de fougères ; la strate arbustive qui, comme son nom l’indique, comprend les arbustes et les arbrisseaux ; la strate arborescente qui surplombe le tout par ses grands arbres adultes.

Tous ces étages présentent une grande diversité des espèces, chacune entretenant des relations complexes avec les autres et leur milieu. De cette structure diversifiée naît finalement un équilibre biologique quasi-circulaire. Chaque élément produit par une espèce sert à nourrir ou protéger les autres, si bien que l’on peut parler de pouvoir régénérateur des milieux forestiers. C’est donc un système véritablement autonome, capable de se reconstituer spontanément après une perturbation plus ou moins importante.

Modèle de résilience et d’abondance, la forêt a ainsi beaucoup de choses à nous apprendre. En regardant de plus près son action et son fonctionnement, nous pourrions nous-même prendre part à cette harmonieuse symbiose dans une logique de biomimétisme. Sans contrôler les processus naturels à l’œuvre, il s’agit d’imiter humblement les systèmes vivants pour créer de nouveaux procédés utiles pour les humains. De nombreuses inventions sont d’ailleurs directement inspirées de la Nature : les avions des chauves-souris, les trains à grande vitesse des martins-pêcheurs… Dans le même sens, du point de vue de la production alimentaire, la permaculture se réfère souvent aux cycles naturels de régénération forestière.

 

Permaculture et forêt comestible

 

Le mot « permaculture » provient de la contraction de deux autres : « permanence » et « agriculture ». Comme on peut le deviner, il renvoie donc à la conception de systèmes d’agriculture durables. Mais au-delà du simple aspect technique, la permaculture correspond aujourd’hui à une manière de penser et d’agir, ayant pour ambition d’apporter des solutions alternatives aux enjeux contemporains, tels que la perte en biodiversité ou le dérèglement climatique.

Basée sur le soin de la terre et du vivant, elle cherche à reproduire des écosystèmes nourriciers et équilibrés afin de favoriser une relation d’amélioration dynamique des lieux concernés, comme la régénération naturelle. On appelle cette relation l’aggradation, en opposition à la dégradation qui menace de nombreux pans de notre environnement. La prise en compte des besoins fondamentaux de chaque composante de ces systèmes conduit à la réalisation de designs – ou modes d’agencement – particuliers, visant à créer de l’abondance et à offrir une plus grande résilience pour résister aux perturbations. Et dans ce domaine, le fonctionnement des biotopes forestiers est un modèle de premier choix.

 

Forêt comestible, jardin-forêt ou agroforesterie… Tous ces termes désignent une seule et même chose : ce que les anglais nomment la Food Forest. Il s’agit justement d’une pratique permacole visant à recréer les cycles biologiques vertueux des forêts, à la fois autonomes et fructueuses, en plantant, sur un terrain plus ou moins étendu, des arbres et autres végétaux consommables par les humains. En d’autres termes, cultiver des sortes de micro-forêts pour y trouver de quoi subvenir aux besoins de chacun de ses acteurs, parmi lesquels nous-mêmes.

 

On quitte alors la logique d’exploitation artificielle pour une logique de reproduction naturelle. Imitant les structures d’un jeune boisement sauvage, ce mode d’agencement végétal permet en effet de travailler en concert avec la Nature, en respectant son rythme et ses harmonies. Il constitue finalement un écosystème à part entière, durable, résilient et prodigue de multiples ressources. Une alternative écologique à nos systèmes mécanistes de production intensive.

 

La redécouverte d’un mode de culture ancestral

 

Le jardin-forêt a été introduit dans le monde occidental assez récemment, par l’horticulteur anglais Robert Hart. Pourtant, cette pratique n’est pas nouvelle. Des civilisations vieilles de plusieurs milliers d’années employaient déjà ce type d’agriculture, et cette tradition est restée par endroits en raison de son efficacité.

 

On la retrouve ainsi dans de nombreuses sociétés aux quatre coins du monde : en Amérique, en Afrique, en Asie ou en Océanie. Plus particulièrement, c’est un mode de culture nourricière qui s’est développé initialement dans les régions à climat tropical. Dans de tels milieux d’opulence, où chaleur, soleil et eau abondent ensemble, les forêts sont denses et grandement prolifiques. En se familiarisant avec leurs spécificités, leurs mécanismes et leur biodiversité, les populations qui côtoient ces lieux peuvent donc bénéficier d’une certaine autonomie alimentaire grâce à ce procédé.

 

Si le climat tropical semble idéal pour élever des forêts comestibles, les régions tempérées ne sont toutefois pas en reste. L’expérience de Robert Hart en fournit la preuve. Dans les années 1960, il a créé le premier jardin-forêt de l’hémisphère nord, dans le Shropshire en Angleterre. Influencé par les travaux de Gandhi, cet horticulteur permacole, pionnier du genre, avait pour projet de cultiver un environnement végétal sain et autosuffisant. Ce qu’il a fait ! Après avoir étudié les modèles tropicaux, il a œuvré à leur transposition sur le terrain de sa ferme. Il a passé sa vie à entretenir ce havre de paix, qui fleurit encore aujourd’hui vingt ans après sa mort.

 

Néanmoins, la méthode demeure encore peu connue en Occident, sans doute à cause de la prééminence du modèle d’agriculture intensive. Mais face aux limites et aux dangers de ce dernier, l’idée commence à faire du chemin dans les esprits et les pratiques. On admet de plus en plus que la monoculture, l’utilisation d’engrais et de pesticides, ainsi que la cadence des machines, ne sont plus adaptées aux enjeux contemporains. Aussi, plusieurs initiatives ont vu le jour depuis la petite révolution de Robert Hart, suivant sa philosophie et les savoirs qu’il a établis.

 

Zoom sur la composition d’un jardin-forêt

 

Une forêt comestible peut donc grandir dans n’importe quel type de milieu. À chaque région ses écosystèmes, ses espèces végétales, minérales et animales, donc ses richesses. Notons tout de même que, dans les milieux tempérés comme les nôtres, un plan d’eau à proximité permet idéalement de garantir aux membres du biotope les ressources primordiales à leur bonne santé.

 

Si chaque jardin-forêt est nécessairement unique, il y a néanmoins quelques règles de design à respecter pour assurer une véritable harmonie entre les espèces. En effet, ce qui fait que la luxuriance des forêts, c’est le mode d’agencement qui s’y opère naturellement. Nous l’avons vu, les biotopes forestiers se développent selon un modèle de superposition de différentes couches végétales. Il est donc important de reproduire au mieux ce phénomène structurel. D’autant plus que la qualité des fruits, légumes, fleurs ou aromates rendus dépend directement des conditions de vie des végétaux qui les produisent.

 

Reprenant l’agencement botanique des forêts sauvages, Robert Hart avait identifié sept étages distincts de végétaux comestibles. D’abord, la strate couvre-sol composée de plantes rampantes comme l’ail des ours ou le pissenlit. On peut également ajouter les champignons à ce niveau, que certains nomment la strate mycélienne. S’y superpose la strate souterraine, ou rhizosphère, alliant légumes-racines et tubercules, puis la strate herbacée qui comprend tout ce qui est légumes et plantes vivaces. La structure prend ensuite de la hauteur avec la strate verticale, faite de lianes et autres plantes grimpantes. On trouve enfin les arbres : les arbustes dans la strate arbustive, les petits arbres dans la strate arborée basse et les grands arbres dans la strate canopée.

 

Sans nécessairement reproduire la totalité de ces strates, celles-ci sont le socle d’une belle synergie qui permet à l’ensemble des végétaux de s’autoréguler. Un écosystème à part entière se forme et entretient ses cycles vertueux d’abondance naturelle.

 

La symbiose des relations écosystémiques

 

Il faut toutefois savoir que les espèces végétales que nous consommons le plus ne prolifèrent pas dans les environnements sauvages. Elles sont, pour la plupart, le résultat de manipulation humaine. Avant toute chose, on peut donc tenter de nous réconcilier avec les plantes sauvages en apprenant à les (re)connaître. Mais il est également possible d’aller plus loin, en essayant d’intégrer les végétaux que nous connaissons dans un mode d’agencement imitant le sauvage. L’enjeu ici est donc de recréer des écosystèmes naturels avec des espèces qui ne le sont plus et ce, en veillant à s’adapter aux contextes locaux de chaque région.

 

Cela nécessite un long travail d’expérimentation et d’observation, afin de trouver des combinaisons botaniques optimales. C’est là l’objet d’une science relativement nouvelle, appelée la phytosociologie, soit l’étude des communautés végétales. Elle s’attache ainsi à observer les relations qu’entretiennent les plantes entre elles et leur milieu, dans le temps et l’espace. Comme chaque individu a ses spécificités dans une société humaine, chaque espèce végétale présente des caractéristiques propres dans un biotope. Ainsi, chacune d’entre elles adopte un comportement particulier face aux conditions de leur environnement. Ceux-ci se conjuguent, se confrontent ou s’ignorent lorsque plusieurs espèces cohabitent dans le même lieu. Ces relations se matérialisent alors en groupements de plantes, qui sont classifiés par les phytosociologues en différentes associations botaniques.

 

Ce sont finalement ces relations complexes qui tendent naturellement vers l’équilibre biologique. Mais rappelons-le, un écosystème ne se limite pas qu’aux plantes. Les espèces minérales et animales participent tout autant à son bon fonctionnement. Aussi, les humains peuvent également œuvrer à l’aggradation de l’environnement avec des pratiques permacoles. Les forêts comestibles en sont un exemple. Car loin d’être séparés de la Nature, nous faisons partie de ce grand cycle.