D’un coup tous les arbres se figent et chacun fait en sorte qu’ils soient posés à terre, sans endommager l’écrin de terreau qui protège les racines. Chacun espère que ce précieux arrivage donnera une abondance de fleurs gourmandes et de fruits juteux au sein de la forêt comestible.
Pommiers, pêchers, abricotiers, framboisiers, néfliers, poiriers, argousiers, cerisiers, pruniers, cognassiers, figuiers, vigne, plantes mellifères et bien d’autres font leur entrée remarquée sur la parcelle de terre préservée des pesticides. Les vénérables de la canopée savent déjà qu’une fois plantés, ces nouveaux arbrisseaux et arbustes vont pouvoir compter sur les champignons, car le mycélium adore créer le contact entre les végétaux, il établit une liaison entre les arbres de la jeune forêt comestible et met ainsi en place un réseau solidaire situé très profondément dans le sol : « Trop de carbone, pas assez de lumière, une petite douleur à la branche gauche, un grand stress dû au dérèglement climatique », le monde des arbres se parle, s’observe, s’entraide. Certains arbres ont tendance à une certaine autonomie comme les noyers, c’est un magnifique fruitier, mais il aime être loin des autres, il éloigne les intrus par son juglon produit par ses feuilles, mais il tolère bien la barbe de bouc et le myosotis.
Les jardiniers au petit soin vont agrémenter le sol de trèfle blanc nain, c’est un excellent engrais vert qui va convenir aux jeunes fruitiers. Quelques pieds de fraises des bois, quelques rosiers grimpants sont plantés ça et là, puis au printemps seront plantées des fleurs comestibles comme la sauge ananas, la bourrache, le bégonia, la violette, la capucine et l’agastache une plante vivace à la floraison chatoyante pour donner à l’ensemble une touche de jardin champêtre. Un jour prochain, la forêt comestible sera très convoitée par les visiteurs et les membres des Chevaliers de l’Astrée, ce sera le lieu gustatif du département à ne surtout pas manquer. Prévoyez vos cagettes, vos paniers d’osier pour les garnir de fruits et de fleurs.
Ce soir, les vénérables arbres s’apprêtent à faire un rêve étrange et merveilleux : « Elles sont partout, ils sont partout, des milliers d’insectes pollinisateurs se gavent du nectar des fleurs d’abricotiers, de pommiers. Les sphinx de l’Euphorbe s’envolent en laissant flotter derrière eux un nuage de poudre claire ou plus foncée selon la fleur butinée, plus loin les abeilles aux pattes postérieures lourdes de pollen croisent les cétoines dorées eux-même couverts de pollen. Du haut de leur cime, ils entendent quelques reniflements, ils remarquent des mains qui essuient des larmes, des poitrines qui se gonflent d’air de façon saccadée et puis des sourires enfantins sur le visage des jardiniers. Tous ces bourdonnements, toute cette activité printanière font qu’ils sont heureux tout simplement, la nature renaît. »